Ah, février ! Ce mois tout gris (à quelques nuances près) où il fait bon travailler. Assis à son bureau, on peut quand même avoir écho de fêtes colorées aux quatre coins du globe ou des Oscars qui font trembler tout ce petit monde…
Pour moi, ni Oscars, ni Grey ; plutôt le mois des travaux d’Hercule. À l’inverse du géant, je travaille dans ma grotte, puis je me repose un peu en dehors de celle-ci. C’est alors que je reprends contact avec l’extérieur et le commun des mortels (avec sans doute une tête de zombiehéros éreinté).
Les bilans sont normalement annuels, mais ce mois de février illustre si bien tous les chantiers auxquels doitpeut avoir à s’attaquer un traducteur indépendant qu’il mérite bien un compte rendu. On y retrouve la variété, la densité et les excèsexigences de notre beau métier. Le récit de mes missions* devrait vous en donner un aperçu et nous donner un peu de visibilité. La traductrice saura-t-elle épater la galeriebriller et faire briller la profession ?
*Sachant qu’il n’y a pas que des traducteurs parmi mes lecteurs, je me permets parfois quelques précisions — inutiles pour les premiers, j’en conviens.
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I – Traduction. Il est des dossiers longs et absorbants : les recherches de documentation et terminologiques y sont colossales et le document traverse toutes les phases de rédaction, du pur brouillon au « produit fini », avec parfois relecture externe et nouveau peaufinage. Ce mois-ci : deux articles d’économie (financement des biens publics mondiaux et financement climatique, anglais-français dans les deux cas). Il y a aussi les commandes courtes, pas plus faciles pour autant, où il faut se montrer rapide et versatile : communiqués de presse (2), clauses d’une promotion pour un site financier (anglais) et correspondance commerciale + programme d’une conférence (un peu d’espagnol, tiens). Outils : traitement de texte, éventuellement logiciel(s) de TAO et consultation de nombreuses sources sur Internet et sur papier (si, quand même).
« Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : / Polissez-le sans cesse, et le repolissez, / Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. » (Boileau)
II – Révision/relecture. Vérification d’un texte traduit par rapport au document d’origine et correction d’éventuelles erreurs de traduction, de terminologie, de langue, de registre, de localisation (adaptation au public cible). Attention aux omissions, lourdeurs, imprécisions, erreurs de chiffres/références et au manque de cohérence. Le texte en langue cible doit tenir la route et être adapté aux exigences du client. En l’occurrence : commentaires de fonds (courts avec contrainte de caractères, une douzaine), rapport semestriel d’un fonds d’investissement, guide de formation à une stratégie de marketing pour un groupe hôtelier (anglais). Traitement de texte avec modifications apparentes, éventuellement logiciel de TAO et insertion de commentaires et couleurs, etc. Après quelques années d’expérience, la relectrice rusée acceptera ces missions si elles ne consistent pas à tout réécrire…
III – Relecture avec mise à jour. Une mission fréquente dans le domaine financier, portant par exemple sur un prospectus financier, comme ce mois-ci. Un vrai travail de titan ! Il faut se débattre avec au moins une dizaine
de fichiers, des documents de référence et la version précédente (qui contient souventparfois des erreurs que le client a souventparfois validé) et, au p’tit bonheur la chanceéventuellement, un glossaire et un guide de style. Il s’agira de déplacer du texte, d’en biffer, de traduire de nouveaux paragraphes, voire des pages entières et de vérifier que le tout est cohérent. Y remédier, sinon.
IV – Traduction audiovisuelle (TAV). C’est loin d’être une tâche habituelle pour les non spécialisés dans ce secteur. On peut cependant être amené à traduire des contenus vidéo. Et en extrapolant, les missions de transcription seraient un autre débouché possible. En l’occurrence : traduction de la voix off d’un documentaire de 45 minutes du galicien vers le français (là, la traductrice jubile). Un projet entamé en fin d’année dernière pour une connaissance dont j’apprécie le travail et le talent, et effectué sur mon temps libre. De la traduction de plaisance, quoi (oui, ben n’empêche que c’est quand même du travail). Un vrai bonheur que de travailler un texte très bien écrit, dont la traduction n’en est que plus coulante.
V – Formation/webinaires. La formation continue s’avère indispensable, qu’elle concerne nos langues de travail ou nos domaines de spécialisation. Elle peut être également curiosité et envie de partager. Nous avons désormais accès à de nombreux cours en ligne, alors pourquoi s’en priver ? J’ai suivi, en février, le cycle de traduction littéraire de l’Asetrad (#AsetradLit, une belle occasion de découvrir le travail de confrères, d’ailleurs) + 1 webinaire sur la réglementation financière avec l’eCPD. Reporté : un. Inscription : deux (IntelliWebSearch et Xbench). Et pour briller un peu : j’en concocte un (à suivre).
VI – Rencontres professionnelles. Contrepoint à notre travail solitaire, les rencontres de traducteurs et autres sont toujours une bonne excuseun excellent tremplin pour apprendre et échanger. Début février, Vigo a accueilli Lenguando avec ses nombreux ateliers, ses pauses-réseautage, le fil conducteur de ces journées étant la passion des langues. Pour en savoir plus : le résumé (et l’événement relayé sur Twitter #Galenguando). J’y ai présenté un atelier ludique de création de petites histoires à partir d’erreurs d’espagnol langue étrangère (#cuentoserroríficos). Il a donné lieu à un bel échange avec le public. Par contre, pour ce qui est de ne pas angoisser la semaine précédente, de vaincre le trac et de parler en public, le résultat n’est pas brillant !
VII – Interprétation. Sans conteste, la grande et autre belle surprise de ce mois de février : un marathon d’interprétation organisé par Lenguando (#Interpretón)! Une journée intense où tout en changeant d’espace à chaque exercice (d’une salle de conférence à une salle de réunion en passant par un musée et une table de négociation), nous avons renoué avec : la prise de notes, la production d’un discours, l’interprétation consécutive, simultanée, bilatérale et le chuchotage. Nous avons aussi abordé une nouvelle modalité : l’interprétation téléphonique. Adrénaline garantie. Beaucoup de stress, certes, mais j’ai été enchantée par l’expérience. J’ai toujours un faible pour la consécutive. Ça m’a donné envie de m’y remettre, vraiment :-). Une pratique/un exercice qui, du fait qu’elle se joue en temps réel, rend la maîtrise des langues plus palpable et oblige à puiser dans ses réserves et à travailler aussi la confiance en soi, la respiration, la mémoire, l’élocution et l’improvisation. Dans mon cas, ça a été plus une formation et simulation, mais beaucoup de collègues alternent missions de traduction et d’interprétation.
VIII – Vie associative. Les associations professionnelles font beaucoup pour nous et j’essaye dernièrement de leur consacrer plus de temps en retour. Ça donne trois
chantiers en cours avec l’association espagnole, l’Asetrad, le dossier d’inscription de sa consœur galicienne l’Agpti sur mon bureau plus seulement pour le regarder, et ma participation désormais à la commission Relations internationales de la Société française des traducteurs. Il est des travaux plus pénibles, en fait.
IX – Blog, réseaux sociaux, actualité. Ben si, c’est du travail. On peut ressentir le besoin de rédiger spontanément, sans être emmuré dans une traduction. Ce serait une façon de libérer son style. Et puis, il est indispensable de suivre l’actualité — pour les contenus et les concepts, mais aussi d’un point de vue linguistique pour connaître la terminologie et les usages —, celle de la profession également. Il y aura eu aussi pas mal de tweets (facile avec autant d’activités, d’articles et d’annonces !). Point à améliorer : participer aux listes de diffusion des différentes associations et autres groupes de traducteurs.
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Les avis sont partagés quant au nombre précis de travaux rapportés par le mythe. Je regrouperai donc les derniers, d’autant qu’ils pourraient aisément s’assimiler à une créature effrayante à plusieurs têtes…
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X – XI – XII – Tâches connexes. Rien de neuf sous… les pixels. Comptabilité. Une prise de têteformalité, même si pour beaucoup d’entre nous, cela ressemble au combat contre l’hydre de Lerne… Secrétariat. On joue un peu les secrétaires de direction. Il faut tenir son agenda, son carnet de commandes et sa messagerie, échanger et négocier avec les clients, organiser déplacements et journées de traducteur solitaire, etc. Pas facile de jongler entre tous ces travaux, mais pas non plus désagréable en soi. Pour alléger un peu cette lourde discipline, j’ai décidé de changer mes mauvaises habitudes : je travaillerai désormais à temps partiel dans un espace de coworking (à suivre également). Informatique et approvisionnements. Pour moi, c’est là qu’elle se trouve, et de loin, la porte des enfers. Outre les maintenances régulières, les installations et les « plantages » et réparations d’usage de logiciels, le matériel a tendance à nous jouer de vilains tours au même moment. Pour notre héros itinérant, il aura fallu étudier le terrainmarché pour renouveler deux de ses attributs essentiels. Komsikjavéksakafer. Pour l’un, c’est réglé, enfin presque : reste à l’allumer, à apprivoiser un nouveau système d’exploitation et installer tous les programmes cauchemardesquespréférés des traducteurs… Pour l’autre, notre héros est resté immobile comme une statue… C’est loin d’être gagné, mais je compte bien persévérer.
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Vous ne vous demandez sans doute plus pourquoi vous ne m’avez pas trop vu perdre mon tempsflâner sur Facebook ce mois-ci, ou pourquoi vous ne m’avez pas vue tout court.
Moi, je me demande toujours si février a vraiment l’air plus court que les autres mois. À moins que je n’aie déjà la réponse à ma question : pour un indépendant, quelques jours comptent et il faut s’évertuer en 28 jours calendaires à obtenir le même résultat que lors du mois guerrier qui suit par exemple. Autant dire que cela peut relever de l’exploit.
Je le retiendrai d’ailleurs comme légendaire ce mois de février… Je serai très contente de sortir de ma grotte, évidemment, et de me remettre en mars. Mais j’ai été aussi très satisfaite d’abattre des montagnes, de cultiver discipline et concentration et de mesurer ma résistance, et ce malgré tout de même quelques colères. Je ne vous livrerai pas le nombre d’heures travaillées, c’est juste indécent. J’ai quand même profité de quelques activités. Du coup, je n’ai pas eu l’impression d’avoir entièrement sacrifié l’équilibre vie professionnelle-vie privée. En tant qu’indépendante, je suis bien consciente que certains mois, on a intérêt à tout donner. Et à ne pas rester à court d’idées… (à court de photos pour le blog, ça peut arriver…)
Mission(s) accomplie(s), non ?
Mars est finalement arrivé. Bon ben pour le repos du guerrier, on verra ça plus tard…
Une réflexion sur “Dix fois sur le métier…”